Plus les informations filtrent, plus l’on se questionne sur les dessous de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui l’Affaire Lescouflair. Une affaire grave puisqu’elle oppose un puissant Ministre en exercice à un groupe de sénateurs de l’opposition qui ont défrayé la chronique en rendant public une plainte pour viol d’un homme de 35 ans Wilio Dor à l’encontre du Ministre de la Jeunesse, des sports et du Service civique, Evans Lescouflair.
Occupant toujours la scène médiatique, les sénateurs Youri Latortue, Mélius Hyppolite, Edmonde S. Beauzile, William Jeanty et Jean-Baptiste tirent à boulets rouges et crient au scandale. Surchauffée, la presse s’empare de l’affaire et en fait ses choux gras. Dès son retour de voyage, le samedi 25 septembre, le Ministre fait un point de presse, renie d’un revers de main les accusations qu’il assimile à une cabale politique et se dit prêt à répondre aux questions du Commissaire du Gouvernement, Mr. Harrycidas Auguste. Pour cela, il écrira dit-il au Président de la République pour lui demander d’être mis à la disposition de la justice pour faire taire les calomnies et rétablir son honneur et celui de sa famille.
Les journalistes, perplexes, restent sur leurs faims. Nous apprendrons par un membre de son cabinet que le Ministre Lescouflair s’est résigné contre son gré à ne pas donner une conférence de presse sur l’insistance de ses avocats. Un cadre du Ministère confie avec assurance que le ministre répondra à toutes les questions de la presse une fois que la justice aura rendu son verdict.
Tous les collaborateurs du Ministre paraissent sereins. L’un d’entre eux nous confie que l’affaire est politique et montée en épingle. Le dossier est si faible et incohérent, ajoute-il, qu’il ne devrait même pas être recevable par le commissaire. Il faut dire qu’une analyse même sommaire des informations qui filtrent aujourd’hui du tribunal de première instance fait ressortir une grande confusion dans les esprits. Y aurait-il anguille sous roche dans cette affaire ? Seul l’avenir le dira mais bien des éléments devraient porter plus d’un à la réflexion et à la prudence sur ce dossier.
Parmi les pièces remises au commissaire du Gouvernement par Wilio Dor le plaignant en appui à son accusation, il y a ce fameux certificat médical de l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haiti datant du 5 Aout 2010. Or le plaignant affirme avoir été violé le 2 janvier 2010. Il aura donc fallu sept mois à Dor pour décider de porter plainte. Mais au delà du fond, c’est également la forme de ce certificat qui cause problème et interpelle. En effet, le certificat atteste que le plaignant aurait été agressé physiquement et sexuellement au vu des problèmes constatés en aout 2010. Or selon un urologue réputé de la place, il est impossible qu’une analyse médicale puisse corroborer la thèse de viol ni même d’acte sexuel après un laps de temps aussi long. Le certificat médical ne peut que rapporter les déclarations du plaignant. De plus, le certificat présenté par Wilio Dor ne mentionne pas si il y a eu examen physique du plaignant et encore moins des examens. Le dit certificat ne porte aucun numéro de référence et est signé par non moins de quatre personnes dont trois médecins et … le Directeur Administratif et Financier de l’Hôpital ! Anguilles sous roche vous avez dit ? Le médecin de service du jour Dr. Saint-Baptiste Jorden’s n’a pas signé lui-même le certificat dont le diagnostic et la substance ne répondent à aucune norme médicale rationnelle, selon un ancien Directeur de l’Hôpital. C’est la paraphe illisible d’une tiers personne tient lieu de signature « pour » le Dr Jorden’s. Quand au diagnostic du dit certificat, il prête à confusion totale puisque la mention « selon le patient » semble dédouaner le médecin de service et donner la paternité du diagnostic au patient. On nage en plein imbroglio.
D’autre part, nous apprenons de bonne source que le plaignant était comptable au Centre d’Appui à la Jeunesse (CEDAJ), entité fondé par Evans Lescouflair en 2001 et aurait été révoqué pour détournement de fonds. Dans le cadre de cette affaire, il y a donc ouvertement une situation de conflit préexistant entre le plaignant et l’accusé, ce qui relativise automatiquement la portée de l’accusation.
Beaucoup d’autres faits restent troublants. Invité de l’émission Métropolis animée par Nancy Roc, Wilio Dor se dit être harassé de coups de fil anonymes de menaces… mais il aurait perdu le papier ou il a inscrit les numéros de téléphone d’où venaient ces appels. Léger ! Dans la même émission, le comptable limogé donc au chômage depuis plus de huit mois… dit passer son temps entre Saint-Domingue et Haiti. Etonnant ! Les questions sérieuses persistent. Comment un jeune de 31 ans peut se faire tabasser par un sexagénaire grisonnant et rester ainsi passif ? Comment imaginer une scène de viol avec coups d’armes sans qu’il n’y ait aucunes réactions des voisins, des passants ou même du personnel de maison ? Comment comprendre cet appétit du plaignant à intervenir sur tous les medias pour expliquer avec luxe de détails son altercation supposée avec le Ministre ? Les proches d’Evans Lescouflair voient également anguille sous roche dans le timing de l’affaire. Conscients de la gravité de cette situation, ils font valoir que le plaignant a pris la voie des ondes le jour ou le Ministre atterrissait au Sénégal et ne pouvait se défendre sur place devant le tapage médiatique orchestré à dessein à l’occasion.
Dans sa déclaration écrite au Commissaire du Gouvernement, Wilio Dor déclare avoir essuyé un coup de feu du Ministre et qu’une balle l’aurait effleurée. Blessé par balle, il serait logique que le plaignant se soit rendu le jour même ou le lendemain à une clinique pour y recueillir des soins médicaux. Mais il semble que non. Aucune attestation médicale pour traitement de brûlures par balle ne figure dans le dossier de Willio Dor au Parquet. Le seul document médical reste le fameux certificat obtenu sept mois après les faits reprochés.
Un membre du Cabinet du Ministre Lescouflair s’offusque que le Sénateur Youri Latortue ait avancé dans la presse qu’une correspondance du chef du parquet au Président René Préval depuis un mois serait restée sans réponse. Selon l’administration du Palais National, aucune lettre n’a été reçue du parquet sollicitant, en vertu de la législation en vigueur, l’autorisation du chef de l’Etat pour interroger un membre de l’Exécutif.
Cette affaire est grave car la vérité, ou qu’elle soit, traduirait une profonde tare de notre société. Si Wilio Dor dit vrai, cela porterait à nous questionner sur la persistance des questions d’abus sexuels sur les lieux de travail. Le traumatisme « supposé » d’une telle victime peut lui valoir des troubles pouvant détruire ses capacités et sa vie. D’un autre coté, si la plainte de Willio Dor est motivée par des mains cachées dans l’ombre cherchant à nuire au Ministre Lescouflair et indirectement à sa famille politique, cela renvoie à la persistance chez nous de la délation et la manipulation comme armes politiques. Dans ce cas, a-t-on mesuré un instant le tort que l’on fait à un serviteur public connu pour sa militance de longue date au profit de la jeunesse ? A-t-on évalué les préjudices moraux à sa personne, à sa famille et à ses proches ? Personnalité dynamique, jamais à court d’idées, populaire, Evans Lescouflair est en effet père de trois enfants et a formé des milliers de jeunes pour avoir été successivement entraineur sportif, professeur, Secrétaire d’Etat et Ministre ?
Puisque nous rentrons en plein dans la campagne électorale, nous rentrons en période de cafouillage et de luttes acerbes pour le pouvoir législatif et présidentiel. Devons-nous anticiper d’autres feuilletons de la sorte s’apparentant à de véritables cafouillis juridico-politiques? Certainement, car la bataille électorale va faire rage et chacun commence déjà à fourbir ses armes en dehors de toutes considérations éthiques puisque la conquête du pouvoir en Haïti semble se faire à n’importe quel prix…
Source: Le Nouvelliste