Par Raymond Jean-Louis
En Haïti, le ballon rond roule au féminin depuis le 19 décembre 1971. Donc cinquante (50) ans en ballon au rythme de la femme. Comme Dadou et Alix Carré, l’auteur de ce documentaire est un témoin des hauts et des bas de cette vague sportive. Spectateur au départ, supporter, dirigeant dans l’ombre, pompier par occasion, il retrace ce qu’il a vu et ce qu’il a vécu pendant ce demi-siècle de ballon rond au féminin. Il le fait par amour du jeu, par passion, par conviction et, surtout, par respect pour tous ceux et toutes celles qui, d’une façon ou d’une autre, ont contribué à la construction de cet édifice sportif de cinquante (50) ans.
L’histoire des cinquante (50) ans du football féminin en Haïti est volumineuse. Une profonde histoire écrite en commun par des dirigeants et des footballeuses de plusieurs générations, des entraineurs, des arbitres et des journalistes. Et aussi par des fanatiques, notamment ceux et celles qui ont animé les gradins et les tribunes pendant les premières années du FF au parc Sainte-Thérèse de Pétion-Ville (Coupe Dunbrik) et sur le terrain des Salésiens à La Saline (Coupe Piloel).
Plus j’avance sur la piste de ce Cinquantenaire, plus ma mémoire projette des images supplémentaires sur l’écran de cette vaste histoire. Mettant en évidence les deux premières décennies de la femme haïtienne sur la scène de notre football, la troisième partie de ce documentaire accorde une place spéciale au sommet féminin de la CONCACAF tenu en avril 1991 à Port-au-Prince. Car c’est l’un des ineffaçables chapitres de l’histoire du Sport national.
LA PRESSE SPORTIVE PISTON DU FOOTBALL FÉMININ DEPUIS LES PREMIERS PAS DES PIONNIÈRES
L’engagement des premiers membres de la branche sportive de la presse haïtienne est incontestablement l’huile essentielle qui alimente chez nous le moteur du football féminin depuis l’initiative du pionnier Phèdre Georges qui a enfanté le match inaugural Sacré-Coeur–Canado Haïtien le dimanche 19 décembre 1971 au parc Sainte-Thérèse. Ce louable engagement de la presse sportive orienté par les ténors Jean-Claude Sanon et Yves Jean-Bart, animateurs de l’émission « ATOUT SPORT » de la Radio Nouveau Monde (RNM), reflète la détermination de ces premiers combattants qui ont largement exploité leurs plumes et leurs micros pour imposer cette « nouvelle vague sportive » en Haïti.
C’est cet engagement qui m’a lancé sur la piste du football féminin au début de 1972, un an avant de franchir la porte d’entrée de la presse sportive. Pour appuyer le combat de mes futurs confrères, je rédigeais des textes que je partageais avec le monumental tanden sportif de la RNM. Ainsi, en foulant cette « pelouse médiatique » le 21 mars 1973, c’est la couverture des matches de football féminin qui représentait ma première mission sur ce circuit.
Sur la ligne de ce combat, cette mission m’a permis de cotoyer notamment les dynamiques dirigeants des Gladiatrices, des Tigresses, de l’Excelsior et de la doyenne Amazones, les quatre (4) premières équipes majeures du football féminin. Le dynamisme et l’esprit de vaincre des Jean Lindor, Frantz Saintyl, Lionel Vil, Raphaël Délatour, Murat Raymond, Théagène Morin, Eddy Simon, les engagés de la famille Carré, Marc-Aurel François et autres Roland Chavannes renforcaient ma conviction sur le champ de ce combat. Ces dirigeants pionniers et d’autres ont hautement gagné leur place dans « la salle d’honneur » du Sport national.
Pendant la première moitié des années 70 où j’animais l’émission « PARADE DES SPORTS » de Radio Progrès, je rencontrais au moins trois fois par semaine les frères Carré des Gladiatrices chez eux à la rue Dr Aubry, où étaient logées les vedettes capoises Angélique Docteur et Analtide Pierre qui formaient avec Béatrice Cantave et Ketly Métellus un quatuor de rêve au sein de la pimpante formation jaune et rouge du Belair, « la Victory du football féminin ».
Les chroniqueurs des deux premières générations de la presse sportive, notamment Jean-Claude Sanon, Dadou Jean-Bart, Gilbert Fombrun, Renan Michel, Raphael Féquière, Pierre-Paul Charles, Antonio Lauradin, Michel Jérome, Lesly Jacques, Philippe Moussignac, Greggy Eugène, Gilbert Fombrun, André Guillaume, Jétro Julien, Raphaël Ligondé (Do grann), pour ne citer que ces plumes et sonores micros sportifs, ont efficacement contribué au rayonnement du football au féminin sur le sol dessalinien et à l’épanouissement des brillantes footballeuses qui, par leurs éclatantes performances, ont favorisé la reconnaissance officielle de cette « communauté sportive » par la FHF le 4 octobre 1975.
À signaler le remarquable travail de la Commission nationale de football féminin (CNFF) dans cette période où il fallait administrativement être à la fois efficace et vigilant pour défendre les intérêts de cette nouvelle entité sportive. Le trio majeur de cette Commission de sept membres était formé des sonores micros sportifs Jean-Claude Sanon (Président), Yves Jean-Bart (Vice-Président) et du « gladiateur » Alix Carré (Secrétaire général), futur membre de la corporation des journalistes sportifs haïtiens, membre fondateur et premier Secrétaire général de l’Association haïtienne de presse sportive (ASHAPS) inaugurée le 24 mai 1986.
ENVIRON VINGT ANS DE PERFORMANCES AU FÉMININ AVANT LA CONCACAF DE 1991
La deux premières décennies du football féminin ont révélé une pléiade de vedettes : Marjorie Célestin, Ketly Mondésir (Bange), Marie-Denise Bertier (Lolo), Margareth Perdriel, Solange Fils-Aimé, les soeurs Gauthier, Vierge Mésidor, Yvanne Desgrottes, Angélique Docteur, Marie-Carmel Désiré, Yolette Simon, Ketly Germain, Micheline Joseph, Ketly Métellus, Ginette Chérubin, Maud Solon, Ketty Félix, Woodlenne Jacques, Rosana Germain, Michèle Étienne, Elsie Jolicoeur, Béatrice Cantave, Jessie Gresseau, Marie-Carmel Dévilmé, Solange Maitre, Jacqueline René, Josette Pierre, Micheline Étinor, Sandra Zéphyr, Roselaine Merlin, Mirlande Téléus, Marguerite Milord (Ti Bòt), Marie-Lourdes Amazan et j’en passe. Un passionnant défilé de joueuses de classe.
Au niveau de la province, la première révélation c’était la Saintmarcoise Monique Guillaume dans les rangs des Tigresses. Monique était la vedette des Jongleuses de la Cité Nissage Saget. Puis, on a enregistré l’arrivée des Capoises Analtide Pierre et Angélique Docteur chez les Cladiatrices. Peu de temps après, Marie-André Noël, une autre Capoise, a été engagée par l’équipe de Minerve 13. Au poste d’avant-centre, Marie-André était un client coriace pour toutes les divisions défensives. Si elle avait eu l’opportunité d’évoluer au sein de l’une des quatre équipes les plus imposantes lors des années 70, cette joueuse de tempérament aurait été l’une des plus redoutables chasseuses de buts du pays.
La disparition des Gladiatrices représentait une perte énorme pour le football féminin en matière de spectacle. Car au milieu de terrain, Béatrice Cantave et Angélique Docteur, épaulées par Martha Aristide (Gro Obas), constituaient un tandem qui brilla de mille feux à chaque défilé des jaune et rouge sur le circuit féminin du football haïtien.
L’Excelsior de Lolo et de Gabriel Beauvais (Chapacha) abandonna également la course. De la bande des quatre ténors du départ, il ne restait que les Amazones, le premier club féminin de notre secteur ballon rond, et les « pakapala » Tigresses toutes griffes dehors à la veille de la célébration du 50ème anniversaire de l’équipe la plus populaire et la plus titrée du pays, le 1er février 2022.
Fort heureusement, pendant les années 80, deux formations provinciales, les Hirondelles des Cayes de Marcel Mathieu et Anacaona de Léogane de la paire Dòdòf Damour-Yves Philogène Labaze, comblèrent le grand vide généré par le regrettable retrait de l’Excelsior et des Gladiatrices. Ces deux nouvelles équipes, très compétitives, représentaient pendant plusieurs saisons les deux principales rivales des Tigresses, la référence en football féminin depuis cinquante (50) ans.
À la veille de la saison 87-88, les Clubs instituèrent la Ligue haïtienne de football féminin (LHFF) dans le cadre d’une assemblée gérérale à la salle de conférence de la Radio Nationale. Autre décision arrêtée en la circonstance par les délégués présents : « 18 NOVEMBRE, désormais date d’ouverture du Championnat national ». Par la même occasion, les délégués des Clubs désignèrent les membres du Comité exécutif de la LHFF, dont Ansy Raymond Lescouflair (Présidente) et Guimps Joseph, Secrétaire général. Première mission de cette nouvelle direction : organiser le premier Championnat national de football féminin devant débuter le 18 novembre 1987.
On connait la suite. Dans une ambiance de derby le 4 juin 1988, les Hirondelles remportèrent le premier trophée national de l »histoire du football féminin en battant les Tigresses 2-1. Une mémorable finale dans un stade plein. Victoire acquise à la mi-temps.
D’autre part, il importe de signaler un point noir qui troubla considérablement les partenaires de Solange Maitre au cours de cette mémorable finale : la grave blessure de la talentueuse tigresse Guerina Faubert, cette footballeuse de grande classe qui représentait, à elle seule, une attraction pour les fans du bon football. Joueuse de très haut niveau technique, habile des deux pieds, buteuse, dribleuse, soliste, Guerina déroutait parfois même ses partenaires sur un terrain. Elle est, sans distinction de sexe, l’une des plus grandes vedettes accouchées par le football haïtien.
Une anecdote au sujet de l’événement sportif du 4 juin 1988 : ratant cette finale à cause de sa participation à un séminaire aux États-Unis, le patron des Hirondelles, Marcel Mathieu, composa chaque trois (3) minutes le numéro de la cabine de la Radio Nationale au stade Sylvio Cator pendant la 2ème période pour savoir si le score reste inchangé. Et il a suivi les cinq dernières minutes en direct jusqu’au coup de sifflet final. Sacré Marcel !
Décédé au début de l’année 1990, l’Artibonitien Marcel Mathieu laisse un vide qui ne sera jamais comblé dans la métropole du Sud. Toutes les équipes féminines du pays ont participé aux funérailles de ce « dirigeant-monument » chantées à la Cathédrale des Cayes, en présence du représentant du président provisoire Prospère Avril.
La saison suivante (88-89), les Tigresses ne firent la moindre concession puisqu’elles passèrent leurs adversaires en revue pour remporter le Championnat national sans enregistrer aucune défaite. Ce fut une saison 100/100 jaune et noir où la fauve Woodlenne Jacques (Ti Jak) fit valser les filets sur tous les terrains en marquant des buts à la pelle. Car, comme les autres « guerrières jaune et noir », la percutante Woodlenne n’avait pas digéré la défaite du 4 juin 1988 devant les Hirondelles à l’occasion de la finale du premier Championnat national des femmes à crampons.
AVRIL 1991 : DÉFILÉ DE CONCACAFIENNES AU STADE NATIONAL
Dix-huit (18) ans environ après l’organisation en Haïti du Prémondial 1973 qui entraina la participation de la sélection nationale de football au sommet mondial de 1974 en Allemagne Fédérale, la CONCACAF revint chez nous en avril 1991. Cette fois-ci au féminin. En observant la première séance d’entrainement des Américaines au stade Sylvio Cator, les curieux présents pensaient que les chances de qualification d’Haïti étaient très minces. Car les footballeuses de la République Étoilée ressemblaient à des extraterrestres en vacances.
Au jour J dans un stade en bleu et rouge, le président de la Fédération haïtienne de football, Me. Jean-Claude Nord, prononça le discours d’ouverture devant les dignitaires de la CONCACAF. Un nouveau chapitre pour le football haïtien en matière d’organisation d’événements spéciaux au niveau de la Confédération du Nord, Centre-Amérique et de la Caraïbe de football (CONCACAF).
Sur le terrain, la sélection haïtienne remporta le match d’ouverture 1-0 face à son homologue de la Jamaïque, but de la « goléadoresse » nationale Woodlenne Jacques (Ti Jak). Toutefois, la suite de la compétition se transforma en une balade américaine. Car
la sélection US n’a fait aucune concession dans ce concert concacafien. Même le Canada ne pesa pas lourd sur la balance américaine. Évoluant comme des surdouées en tournée touristique, les irrésistibles footballeuses des États-Unis taillèrent en pièces les autres sélections engagées dans ce tournoi. Comme en témoignent ces chiffres : 5 matches, 5 victoires, 49 buts marqués. Une locomotive !
Au chapitre assistance, à cause de la confirmation de la participation du président Jean-Bertrand Aristide au match Haïti-Canada, on a enregistré un débordement bleu et rouge ce jour-là au stade national. Du jamais vu en Haïti depuis la première visite du roi Pelé en février 1971.
Après avoir salué les 22 actrices, le président de la République regagna la loge officielle. Pendant 90 minutes, les Haïtiennes se révélèrent déterminantes face aux Canadiennes. Mais elles ne purent toucher les filets adverses. À l’arrivée, Haïti-Canada 0-2. C’était le match à sensation de ce riche concert concacafien.
Dans l’ensemble, les footballeuses bleu et rouge ont honorablement rempli leur mission. Elles ont cranement lutté devant les Canadiennes notamment. Mais, comme les autres victimes de la furia étasunienne, elles n’ont pu éviter une raclée face à la dévorante sélection américaine.
LA DIASPORA AU RYTHME DE LA CONCACAF
Le tournoi concacafien d’avril 1991 chez nous a sportivement et « populairement » fait le plein. Ce qui poussa les dignitaires de la CONCACAF à envisager l’organisation d’autres tournois de cette Confédération en Haïti. Mais cela n’a pas été concrétisé.
Sur le plan financier, nos compatriotes de la diaspora ont largement supporté la FHF dans le cadre de l’organisation de la CONCACAF au féminin. Une mémorable mobilisation patriotique à New-Jersey, à Miami, à Boston, à Montréal, à New-York et dans d’autres régions de la diaspora. Louable initiative basée sur le sentiment d’appartenance.
La contribution des Haïtiens de l’extérieur n’était pas seulement d’ordre financier, puisque plusieurs délégations du 10ème département débarquèrent au pays pour renforcer la marée sportive nationale qui accompagna les protégées des entraineurs Yves Philogène Labaze et Fresnel Duchatelier jusqu’au terme de ce concert international de ballon rond au stade national. Sportivement aussi, la diaspora a prouvé lors de ce sommet de la CONCACAF qu’elle est incontournable en ce qui concerne la recherche du bien-être pour le peuple haïtien.
(À suivre)
Raymond Jean-Louis
Militant sportif