Adonis Stevenson est sorti du coma. C’est ce qu’ont rapporté les médias. Et on a débranché le respirateur artificiel. Mais ce que les gens imaginent en entendant ces simples mots est à des années-lumière de la réalité.
La réalité, c’est quand sa conjointe et grand amour Simone se penche sur lui et qu’elle voit une lueur dans son regard. Adonis ne peut parler. On lui a fait une trachéotomie pour assurer sa respiration.
« Mais il arrive à communiquer avec moi. S’il semble avoir une démangeaison près du nez, je gratouille un peu. Je lui demande si c’est ce qu’il veut. Il répond par un très léger signe de tête pour dire oui, ou non si ce n’est pas le cas. Il peut bouger les bras. Sauf qu’un mouvement vers son visage peut représenter l’effort de toute une journée. Mais il me reconnaît, et pour moi, c’est merveilleux, j’avais tellement peur qu’il ne me reconnaisse pas à son réveil », raconte Simone God avec une passion dévorante et un amour absolu pour « son homme ».
Il y a une semaine, on a assis Adonis dans un fauteuil roulant. Question de reposer un peu ses muscles et les tissus après des semaines allongé dans un lit. Mais on ne parle pas d’une balade de plaisir. Stevenson a encore une partie de sa boîte crânienne enlevée, il est intubé pour éliminer urine et déchets, et reste avec sa trachéotomie.
« Je regardais Adonis. Je regardais cet homme si fier et si fort. Je voyais bien que ses muscles étaient atrophiés et qu’il n’avait plus rien en apparence de l’athlète champion du monde. J’ai alors compris encore plus fort que j’étais tombée en amour avec une âme, avec son cœur, avec sa gentillesse pour ses filles et pour moi. Même dans son état, je sentais son âme et je savais que cet amour était plus fort que tout. Il me donne la force de le protéger, de veiller sur ses affaires et faire pour le mieux pour Adonia et ses enfants. Je le regardais et je me disais que tout cet argent, toute cette gloire, que même la boxe et ses triomphes, ce n’était rien. Que tout pouvait s’envoler en quelques secondes, mais que l’essentiel pouvait survivre », raconte Simone, qu’Adonis appelle Sissi.
« Après le combat, j’ai senti tout de suite en m’élançant vers le ring que c’était plus qu’un knock-out. Qu’Adonis était blessé. Dans le vestiaire, il y avait trop de monde et il faisait trop chaud. Et puis, c’est comme si Adonis avait eu un pressentiment. Il avait demandé au docteur Francis Fontaine de venir au combat. Le docteur ne pouvait pas, car il avait d’autres obligations. Mais Adonis a tellement insisté qu’il est venu avec sa femme, la docteure Marie-Christine Gougoux. Yvon Michel est venu montrer à Adonis les cartes des juges en lui disant qu’il menait aux points avant le K.-O. J’ai vu les yeux d’Adonis. Oui, il y avait la douleur et l’acceptation de la défaite, mais il y avait plus. Le docteur Fontaine lui a demandé comment il se sentait, s’il avait mal à la tête. Adonis a dit que ça allait. Mais il avait chaud et il a décidé d’aller prendre une douche. Quand il est revenu de la douche, il ne se sentait pas bien. Je l’ai vu. Puis, il est allé aux toilettes et je l’ai suivi. Il a pris une serviette pour se rafraîchir, et là, il m’a dit avec une voix angoissée : “Babe, ça va pas du tout, j’ai mal à la tête”. J’avais la poitrine serrée, je savais qu’il était vraiment blessé, que c’était grave », raconte Simone…
On le sait, Simone n’a pu grimper dans l’ambulance. Elle s’est dirigée vers l’hôpital avec la docteure Gougoux.
Et là, une autre réalité l’attendait. Atroce. Foudroyante.
« J’étais là depuis quelques minutes quand on est venu me dire qu’Adonis était sans doute en état de mort cérébrale. Adonis, mon homme, mort cérébrale. Je n’arrivais pas à le croire. En fait, je ne l’ai jamais cru. Pas Superman. Il était trop fort. Une grande neurochirurgienne était maintenant arrivée. Elle m’a expliqué qu’il était trop dangereux d’opérer Adonis, que le cerveau était maintenant trop enflé.
Puis, de façon inespérée, il a bougé un bras. J’ai dit : “Adonis t’es fort, tu vas gagner”. Je pleurais, je criais, je pensais que j’étais dans un cauchemar. La chirurgienne, les yeux humides, m’a dit qu’il y avait peut-être encore un espoir. Que c’était 50-50 qu’il meure.
Après l’opération, j’ai été 48 heures sans dormir ni manger. Je n’arrivais pas à y croire. Adonis, c’était ma moitié. Ensemble, on était tout. Mais je sentais que je devais être forte. Pour veiller sur lui et sur notre fille. Je priais pour que notre petite fille puisse connaître son père », dit Simone.
Les chroniqueurs de boxe et les vrais amis de Stevenson savaient que le lien qui unissait le champion et cette grande dame aux allures de star, était solide. Unique. Stevenson était maintenant souriant, plus ouvert. Il avait plongé dans les affaires de Sissi à Toronto et l’avait initiée à ses nombreuses entreprises personnelles dans l’immobilier, tant à Toronto qu’à Montréal et en République dominicaine.
« Quand on s’est connus, il m’a tout raconté. Il s’est livré. Puis, on a bien vu que notre amour était vrai, était fort. Je ne voulais pas avoir d’enfant, pas tout de suite. C’est Adonis qui a insisté pour avoir un enfant. L’après-midi du combat, il s’est penché sur Adonia et lui a dit : “Au revoir, ma belle fille”. L’infirmière qui m’accompagnait a alors lancé à Adonis : “Not goodbye, but I’ll be back !” [Ce n’est pas un au revoir, mais je serai de retour]. Il l’a embrassée une autre fois et lui a murmuré : “I’ll be back”. On aurait dit qu’il savait quelque chose », dit-elle.
Ces semaines passées au chevet de Stevenson ont été très dures, très pénibles. La famille d’Adonis est de culture haïtienne. Sissi est éthiopienne par sa mère et égyptienne par son père. Ce sont ses racines, même si elle est née à Ottawa.
Elle ne veut pas rouvrir des plaies, mais entre elle et le clan Stevenson, incluant certains amis et sa belle-mère, ce fut un « clash ». Elle n’était plus capable d’entendre parler de dons d’organe dans la chambre alors qu’Adonis était allongé dans le coma dans son lit. Et s’il avait entendu quand même ? Et surtout, il y avait tellement de choses à faire. Comment protéger la fortune d’Adonis, au cas où…
« Je devais rester zen et forte. J’avais appris d’Adonis à ne pas faire confiance facilement aux gens. Mais quand on vit pareil drame, on voit la vraie couleur des gens et on voit tomber les masques. Je sais qui nous a vraiment aidés. »
Elle insiste pour remercier Alain April et le personnel de l’hôtel Le Bonne Entente, Mauricio Sulaiman de la World Boxing Council (WBC), le personnel de l’hôpital Enfant-Jésus, Steve Querry, Badou Jack et les boxeurs, et tous ceux qui ont offert leurs prières…
Et par ailleurs, quand elle fait allusion à cet « au cas où », il est vite devenu palpable. À un moment donné, le docteur Alexis Turgeon de l’Enfant-Jésus a franchement fait comprendre à Sissi qu’il faudrait peut-être se préparer à débrancher Adonis. À le laisser aller s’il n’y avait plus d’espoir. Mais toutes les fois, on aurait dit que Stevenson sortait du coin pour un autre round.
Heureusement, elle pouvait compter sur un ami solide comme le roc : M. Querry, un entrepreneur dans la construction qui, contrairement à la plupart des autres, est resté près d’Adonis et de Simone depuis le premier jour. « Adonis et moi, on s’est connus dans une sorte d’école de réforme. On avait 13 ans. Puis, on a lâché l’école pour commencer à travailler. On s’est perdus de vue jusqu’à l’âge de 23 ou 24 ans. Il m’a demandé de le commanditer, je lui ai dit que je ne commanditais que les champions. Ce soir-là, il a gagné une ceinture intercontinentale et je suis devenu son partenaire », raconte-t-il avec émotion.
C’est un dur capable de faire le ménage dans une chambre d’hôpital.
La vraie ceinture, c’est le président de la WBC, M. Sulaiman, qui est venu la porter à Québec. Dans un moment où la vie et la mort luttaient côte à côte, Sulaiman apportait en plus un document important. Avant chaque combat de championnat, quand des millions de dollars sont en jeu, la WBC fait signer une police d’assurance aux boxeurs en cas de mortalité dans le ring.
« Si j’avais eu des doutes sur l’amour d’Adonis, ils auraient disparu quand j’ai vu sa signature et ce qu’il avait décidé de faire avec l’argent. Je n’en dirai pas plus, mais il avait pris soin de ceux qu’il aimait », assure Simone.
« Je ne pense pas qu’Adonis ait reçu beaucoup d’amour dans son enfance. Moi, c’est la seule chose que je voulais lui apporter. L’amour. Et je lui en ai donné. Et j’en donne. Et quoi qu’il arrive, je serai là pour lui », dit-elle.
En attendant, il a fallu arrêter la construction de la superbe maison du couple dans le nord de la couronne de Montréal. Sans doute qu’il faudra prévoir un ascenseur et des escaliers avec rampes. Plus un gym adapté pour que les thérapeutes spécialistes puissent travailler avec leur patient. Parce que Sissi ne se fait pas d’illusions. On parle de mois… au mieux.
Simone est convaincue que ce combat contre Oleksandr Gvozdyk aurait été le dernier de sa carrière. Après le très dur combat nul contre Badou Jack, tout son être lui disait qu’Adonis devait arrêter. Les derniers rounds avaient été très éprouvants et Adonis était sorti sonné de ce match. « Je lui ai dit : “Es-tu sûr que tu veux continuer ?” Il m’a répondu qu’il avait encore le goût. Et puis, il voulait montrer qu’à 41 ans, un champion pouvait défier le temps et les meilleurs. Peut-être qu’il s’est surentraîné, peut-être que c’était trop tôt pour remonter dans le ring ? Comment savoir ?
Vous savez, la boxe, c’était aussi lui. Une partie importante de l’homme qu’il était… »
Presque trois heures après son arrivée, Simone God a posé pour quelques photos sur la glace du lac Beauport, tout juste derrière l’Entourage sur-le-lac, avant de quitter pour aller retrouver Adonis à l’hôpital.
L’air pur et la lumière vive réfléchie par la glace lui faisaient du bien.
Le combat pour la vie allait se poursuivre…
lejournaldeMontreal